Discours au Tribunal de Grande Instance-
Madame la Présidente,
Je vous remercie sincèrement de donner la parole au Barreau d'Alençon, usage bien ancré ici dans notre Palais, mais non prévu, nous en avons bien conscience, par la loi.
Je vous en remercie d'autant plus que les temps sont durs pour les relations entre avocats et magistrats, et je me plais à souligner que celles-ci restent malgré tout excellentes, et je pèse mes mots, à Alençon.
Le rapport du groupe de travail mandaté par la Chancellerie concernant la protection des magistrats du 28 juin 2016 a suscité l'indignation des avocats.
Il jette l'opprobre sur notre profession, porte atteinte à une institution toute entière.
Il constitue un germe de division entre entre avocats et magistrats:
Les magistrats seraient acculés, ne pourraient plus travailler sereinement, seraient mis en danger par la Défense qui tenterait de les déstabiliser...
Mais il n' y pas les magistrats et les avocats
Il y a des magistrats et des avocats...
et ceux d'Alençon,rassurez vous, Madame la Présidente
Seront toujours solidaires de vos préoccupations car nous avons les mêmes, celles de la vérité et d'un idéal de justice.
Ainsi le directeur de l'ENM, lors de son discours de rentrée le 29 août 2016, déclarait aux élèves magistrats qui sortait de leur stage en cabinet d'avocats:
"Apprendre le métier de magistrat en commençant par découvrir celui d'avocat n'est pourtant pas, à mes yeux, un paradoxe.
En effet, il n'est pas de justice de qualité sans avocat de qualité, capable de traduire en termes juridiques les intérêts du justiciable, capable aussi d'être l'interprète de ses tourments, souvent de sa souffrance, face à une institution complexe, au fonctionnement parfois peu compréhensible.... vous n'oublierez pas le moment venu, qu'au-delà de l'âpreté, parfois de la violence du débat judiciaire, l'avocat n'est pas l'adversaire du magistrat mais un partenaire qui concourt à l'œuvre de justice et que la qualité de la décision rendue dépend aussi de la qualité de la relation que la magistrat a su nouer avec lui."
Le Garde des Sceaux, Jean Jacques URVOAS déclarait vendredi dernier aux Bâtonniers de France que magistrats et avocats devaient travailler ensemble à l'œuvre de justice, par le biais du débat contradictoire, pour rendre belle l'image de justice à nos concitoyens.
Non sans humour, il commençait ses propos de la sorte:
"la première chose que nous devrons faire sera de tuer les avocats."
Il citait shakespeare (Henri VI), le conseil donné à celui qui veut devenir roi d Angleterre.
Il les terminait en citant Cicéron:
"l éloquence d'un avocat consiste dans l'art d'arracher de l âme des juges leur cruauté toute entière."
Plus sérieusement, il disait que la justice reposait sur plusieurs piliers et le juge n'en était qu'un,
Que l’avocat n’est pas un passeur; il est un acteur de justice.
C'est parce qu'avocats et magistrats œuvrent au même idéal de justice, que des dictatures s'en prennent à eux.
L'an passé, à l'audience solennelle, j'évoquais l'assassinat le 25 novembre 2015 du Bâtonnier de Dyarbarkir, en Turquie.
Son successeur, Monsieur le Bâtonnier OZMEN, est venu témoigner de ce que l'enquête sur cet assassinat n'a nullement évolué depuis plus d'un an.
Certains confrères soutenants sont poursuivis
Les pièces du dossier n'ont pas été communiquées aux avocats des parties.
Tous les vendredis sa mémoire est commémorée par le barreau depuis le 25 novembre 2015.
Depuis juillet 2016, c'est un Régime d'état d’urgence qui a été décrété, où les libertés fondamentales sont bafouées:
Des cabinets d’avocats sont fermés
Des avocats sont arrêtés, emprisonnés, empêchés de quitter le territoire pour venir chercher un prix sur le sol européen
La durée de la garde à vue est de 30 jours....
L'entretien avec avocat est interdit pendant les 5 premiers jours
Puis il se fait toujours avec une camera au dessus de vous, en présence d'un policier qui suit l'entretien, l'échange des arguments et documents
On recours à des décrets pour changer les lois pénales
35 % magistrats accusés de soutien aux terroristes
Des milliers de fonctionnaires démis de leurs fonctions
Alors évidemment qu'en France, nous sommes heureux....
Mais il faut rester vigilant.
Nous allons fêter le 25 mars prochain le 60éme anniversaire du traité de Rome.
La CEDH est l'institution des droits fondamentaux de milliers d’européens.
Cette institution proclame qu'il n'y a pas de démocratie sans avocat.
Si les avocats ne méconnaissent pas les exigences de l'Etat en matière de sécurité publique, et sont avant tout aux côtés des victimes du terrorisme, ils doivent rester des lanceurs d'alerte quand, au nom de la sécurité, on nous brade des libertés fondamentales.
Il est extrêmement dangereux d'écarter le juge judiciaire des privations de liberté.
Comme il est extrêmement dangereux d'envisager l'anonymisation des PV d'enquête de police, voire des décisions de justice.
C'est un terrible aveu de faiblesse de l’Etat incapable de protéger ses policiers, ses juges au point de cacher leur identité.
Le danger réside dans l'habitude, les régimes d'exception sont toujours votés dans l'urgence et la fébrilité...
N'est-il pas encore dangereux que depuis le 1er janvier 2017, une inspection générale de la justice exerce une mission permanente d'inspection et de contrôle sur l'ensemble des juridictions de l'ordre judiciaire ? La Cour de Cassation elle-même se retrouvant sous le contrôle du gouvernement.
Bertold Bretch écrivait:
"Le fascisme n'est pas le contraire de la démocratie mais son évolution par temps de crise."
Il est intolérable qu'un manque de moyens conduise une politique, celle de déjudiciariser, de supprimer de tribunaux, d'imposer par coercition des mesures alternatives de règlement des conflits, de créer des barèmes (bientôt comme aux USA on utilisera des algorithmes pour calculer la peine des condamnés), de prévoir une politique collective pour provisionner le risque juridique comme une entreprise provisionne un risque financier, et ce, au détriment de l'individualisation de la décision.
Le leitmoviv des audiences solennelles, des déclarations de magistrats corroborées par les discours des bâtonniers: le manque de moyens.
Monsieur le Premier Président de la Cour d'Appel de CAEN, évoquait à l'audience solennelle du 20 janvier dernier, que 46 % des extractions de détenus aux fins de présentation au juge sont impossibles.
Alors, je vous épargne les chiffres honteux...
Une récente bouffée d'oxygène a vu le jour puisqu'une augmentation du budget de 9% a vu le jour pour 2017.
C'est bien sûr insuffisant.
Les avocats n’ont pas bénéficié de cette bouffée d’ oxygène.
L'année 2015 s'est terminée sur une lueur d’espoir: Christiane Taubira s'engageait à poursuive la reforme sur l'AJ.
L'année 2016 s'achève sur une cruelle déconvenue : la poudre aux yeux de l'augmentation de l’uv... s'est estompée avec le décret de fin décembre 2016 qui diminue le barème ... on nous reprend d'une main ce qu'on nous donne de l'autre.
L'Etat proclame que les avocats sont des entrepreneurs, on le sait aux vues des contraintes des cabinets, de la baisse nationale et notable des revenus.
Mais une entreprise ne travaille pas à perte...l'Etat nous contraint à travailler à perte
Le rapport KPMG commandé par la profession le constate, les services de la chancellerie ne le contestent nullement.
Cette assistance traditionnelle de veuve et orphelin est sans commune mesure avec les contraintes de la justice assistée...
L'Etat abuse de la générosité des avocats...
Frederic SICARD, qui vient de terminer son mandat de Bâtonnier de Paris déclarait au Figaro en mai 2016 :
"L'aide juridictionnelle c'est un peu l'histoire d'une baguette de pain qui coûterait 1 euros et pour laquelle on dirait à son boulanger que l'on ne le paiera que 50 centimes mais à qui on finira par ne donner que 20 centimes."
Terminons sur une note d'optimisme :
Le 1er octobre 2016 l'ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, entre en vigueur.
C'est une date importante pour la profession : l'Acte d'Avocat entre dans le code civil.
Cet acte ne revêt pas encore la force exécutoire, force exécutoire que nos députés, le 5 décembre 2016, n'ont pas hésité à octroyer aux directeurs de CAF qui peuvent donner force exécutoire à l'accord par lequel les parents fixent le montant de la contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants.
La force exécutoire devra être conférée à l'acte d’avocat!!!
Pour être encore plus optimiste, terminons par le Barreau d'Alençon.
Il a vu, en 2016, le départ de 5 avocats, c'est beaucoup :
3 en partis en retraite sont devenus avocats honoraires nos confrères Le Mercier, de Balorre et LEPASTOUREL.
1 nous a quittés pour le Barreau de Paris quand l'autre a intégré la magistrature...
Encore un témoignage, si besoin était, de l'imbrication de nos deux professions, Madame la Présidente…
L'année 2017, qui débute, voit arriver deux jeunes avocats Elise CORTAY et Fabrice EGRET, à qui je souhaite officiellement la bienvenue.
Tous les avocats d'Alençon vous présentent à tous leurs meilleurs vœux pour cette nouvelle année que nous souhaitons une année de justice libre et indépendante, en tous cas nous tenterons d'y contribuer.
Je vous remercie pour votre attention.